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Appel à communications: Écrire l’histoire coloniale allemande aujourd’hui – enjeux et perspectives

Colloque à l’Institut historique allemand, les 23 et 24 mai 2024

Où: IHA
Quand: 23–24 mai 2024
Date limite de candidatures: 15 juillet 2023

Organisatrices et organisateurs: Delphine Froment (Université de Lorraine, Nancy), Mathias Hack (Université de Leipzig, Leipzig), Robert Heinze (Institut Historique Allemand, Paris), Tobias Wagemann (École Normale Supérieure, Paris)

En coopération avec l’univ. de Leipzig et l’univ. de Lorraine.

Ce colloque se veut l’occasion de d’offrir un panorama des renouvellements et des débats historiographiques autour de l’histoire coloniale allemande et de donner un aperçu des projets de recherche en cours. L’objectif est de discuter de divers aspects du colonialisme allemand, tels que les limites géographiques et chronologiques traditionnelles de l’empire colonial allemand, les connexions transimpériales, l’agency des acteurs autochtones, l’économie et l’Allemagne postcoloniale.

Le 14 août 2004, l’Allemagne présentait pour la première fois ses excuses pour les massacres commis par les troupes coloniales allemandes dans le Sud-Ouest africain allemand (l’actuelle Namibie) entre 1904 et 1908. À cette occasion, la Ministre allemande du développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul, avait reconnu la responsabilité de l’État allemand au cours de cette guerre d’extermination, entamant un processus de reconnaissance des violences coloniales allemandes. S’il a fallu attendre le 28 mai 2021 pour que le gouvernement d’Angela Merkel reconnaisse officiellement la dimension génocidaire de ce massacre et s’engage à reverser une somme d’un milliard d’euros en guise de réparations, la commémoration de 2004 a donné une nouvelle visibilité à l’histoire du colonialisme allemand et a amorcé un important renouvellement historiographique. Dans l’historiographie allemande, l’année 2004 fait ainsi office de véritable tournant.

Depuis, de nombreuses publications ont tenté de mieux comprendre les rouages des administrations coloniales allemandes dans son empire ultra-marin en Afrique, en Asie et dans l’océan Pacifique, ainsi qu’en Allemagne même[1]. L’un des objectifs des premières recherches sur le colonialisme allemand a été d’interroger les »liens structurels« entre le génocide des Herero et des Nama et l’Holocauste[2]. Selon ces travaux, le premier génocide, perpétré sous le Kaiserreich, aurait stimulé l’accélération de la culture militaire de l’État allemand ainsi qu’un processus de bureaucratisation qui aurait ouvert la voie à l’Holocauste – des liens qui ont depuis fait l’objet de critiques, pour ne pas avoir suffisamment pris en compte les différences entre le colonialisme allemand (et en particulier le génocide en Namibie) et l’Holocauste. En parallèle, des chercheurs allemands et étrangers se sont consacrés à l’étude d’autres territoires coloniaux, s’intéressant tant aux acteurs (coloniaux et colonisés) et à leur agency, qu’aux infrastructures et modalités de l’exploitation économique[3]. Ces travaux ont été fortement influencés par les approches transnationales et globales de l’histoire, ce qui a contribué à renforcer l’intérêt pour l’histoire coloniale et impériale dans les universités allemandes. Au-delà du cadre national, des études se sont emparés des jeux d’échelle, pour analyser comment les agents, biens et savoirs liés au colonialisme allemand ont voyagé et circulé au-delà des frontières de l’empire[4]. Enfin, des travaux se penchant sur l’Allemagne postcoloniale ont commencé à interroger les idéologies postcoloniales qui se sont développées en Allemagne après la perte de ses colonies en 1919 avec le traité de Versailles, que ce soit à l’époque du Kolonialrevisionismus de la République de Weimar, dans les sociétés des deux États allemands de l’après-Seconde Guerre mondiale, ou dans les anciennes colonies allemandes[5].

Quels sont les enjeux de l’histoire coloniale allemande aujourd’hui? Parmi les thématiques que nous souhaiterions développer dans le cadre de ce colloque, et sans que cette liste soit exclusive, nous suggérons aux intervenants d’articuler leur réflexion autour des axes problématiques suivants:

  • Les limites temporelles et chronologiques de l’empire allemand. Un certain nombre de travaux ont abordé le colonialisme allemand au-delà de ses limites chronologiques, généralement fixées entre 1884 et 1919. En ce sens, les contributions portant sur l’exploration des territoires impériaux européens par des agents allemands au début de la période moderne, ainsi que sur les pratiques, discours et représentations du colonialisme allemand après 1919, sont utiles pour repenser et redéfinir les limites chronologiques ou géographiques traditionnelles de l’empire allemand. Si les chercheurs ont déjà souligné que les implications du colonialisme diffèrent entre les colonies, ils ont aussi montré, plus récemment, que c’était également le cas entre les régions et les villes à l’intérieur même de l’Allemagne[6]. Où, quand et avec quels acteurs  l’empire colonial allemand s’est-il construit? Quelle mémoire a subsisté après le traité de Versailles en 1919? Comment le colonialisme a-t-il structuré et influencé les différents territoires coloniaux et ainsi que les régions allemandes métropolitaines?
  • La dimension transimpériale du colonialisme allemand. Un regain d’intérêt pour les connexions transimpériales entre les différents empires coloniaux a encouragé les chercheurs à davantage dénationaliser les histoires impériales et coloniales. Les contributions portant sur l’interaction entre les agents impériaux allemands dans les territoires coloniaux et en Europe sont les bienvenues pour approfondir la compréhension de solidarités impériales, rivalités ou coopérations pragmatiques. Dans quelle mesure l’empire colonial allemand se distingue-t-il (ou se rapproche-t-il) des autres empires qui se développent au xixe siècle? De quelle manière les institutions et agents coloniaux allemands ont-ils interagi, rivalisé et coopéré avec les agents d’autres puissances impériales? La colonisation allemande peut-elle être interrogée à l’aune d’autres modèles impériaux européens?
  • L’agency et la diversité des acteurs qui prennent part à l’entreprise coloniale allemande. De récentes études s’interrogent sur les agents qui participent aux processus d’exploration, de conquête et d’extraction économique des colonies allemandes, mais aussi aux divers individus et groupes qui ont résisté à la domination coloniale par des actions organisées ou spontanées[7]. Toutefois, le rôle des »intermédiaires« autochtones à l’intérieur de l’État colonial allemand demeure un champ d’investigation vaste. Comment ces acteurs résistent-ils ou bénéficient-ils de l’entreprise coloniale allemande? Et dans quelle mesure sont-ils affectés (ou non) par la mise en place de politiques du maintien de l’ordre colonial?
  • Économie et main-d’œuvre. Les matières premières telles que la noix de coco, le café, le cacao ou le caoutchouc ont été des éléments essentiels des marchés européens du début du siècle, importés en grandes quantités des colonies allemandes où les fonctionnaires coloniaux ont mis en place et appliqué des régimes d’exploitation de la main-d’œuvre[8]. Alors que les politiques du travail (et la résistance qu’elles suscitent) restent un thème majeur de l’histoire coloniale, un regain d’intérêt pour l’histoire des entreprises individuelles et des sociétés opérant (avec succès, ou non) dans les colonies allemandes a mis en lumière l’enchevêtrement entre impérialisme allemand et mondialisation[9]. Dans quelle mesure les modèles allemands ou européens de travail forcé peuvent-ils être remis en question dans des contextes coloniaux particuliers? Comment les entreprises allemandes ont-elles participé à l’élaboration des politiques économiques coloniales ou postcoloniales?
  • La question du postcolonialisme allemand. Certains travaux ont parfois considéré que l’Allemagne avait longtemps, pensant la seconde moitié du xxe siècle, été frappée d’une »amnésie coloniale« – tant en Allemagne de l’Est qu’en Allemagne de l’Ouest. Le passé colonial n’a néanmoins jamais complètement disparu des arènes académiques ou publiques: des cultures mémorielles spécifiques se sont formées en Allemagne et les discours coloniaux ont perduré dans les relations économiques et internationales, l’aide au développement, le tourisme… Dans le même temps, les sociétés allemandes ont vécu la période de décolonisation des années 1950 et 1960 en adoptant un point de vue d’outsider. Ces vingt dernières années ont été marquées par le retour et l’ancrage dans la sphère publique de divers débats, notamment la commémoration du génocide des Herero et des Nama et la restitution des œuvres d’art pillées dans les musées ethnologiques. Comment les discours coloniaux et anticoloniaux ont-ils façonné les sociétés allemandes dans l’ère de l’après-empire? Comment le colonialisme a-t-il été mémorisé et/ou ignoré?

Ce colloque se veut ainsi l’occasion de revenir sur l’histoire coloniale allemande et de dresser un panorama des recherches en cours. Il s’agira également d’introduire le public francophone à cette thématique en proposant un dialogue franco-allemand autour des développements les plus récents en histoire colonial allemande en s’inscrivant à la suite d’un ensemble d’ouvrages et de journées d’études qui ont commencé à s’intéresser à l’histoire coloniale allemande en France[10]. L’ensemble des espaces colonisés par le Reich allemand entre les années 1880 et 1919 en Afrique, en Asie et dans le Pacifique, sont envisagés – l’objectif étant de ne pas se limiter simplement au génocide des Herero et Nama, qui est souvent la principale entrée (en France, encore plus qu’en Allemagne) dans cette histoire allemande. Au- delà du cadre franco-allemand, l’objectif sera enfin de confronter cette histoire aux renouvellements des méthodes d’analyse des empires européens (études coloniales, transimpériales et postcoloniales).

Le colloque aura lieu le jeudi 23 et le vendredi 24 mai 2024 à Paris, à l’Institut Historique Allemand, partenaire de cet événement. Les communications peuvent être proposées en français, anglais et allemand. Pour participer, nous vous prions d’envoyer une proposition comprenant un titre et un texte de présentation du contenu de la contribution envisagée (300 mots, ou 2 000 caractères, espaces compris), ainsi qu’une courte présentation biographique (ou CV). Les propositions peuvent être transmises en allemand, anglais ou français. Les réponses sont à transmettre à l’équipe organisatrice avant le 15 juillet 2023, à cette adresse: german.colonialism@gmail.com. Cette adresse peut également être utilisée pour toute question concernant l’organisation de ce colloque.

Les frais de déplacement et/ou d’hébergement pourront être pris en charge dans la limite du budget disponible. Nous encourageons tout particulièrement les jeunes chercheur.euse.s et chercheur.euse.s du Global South à soumettre des propositions d’intervention. Une publication dans un journal à comité de lecture est envisagée.

Comité scientifique: Hélène Blais (École Normale Supérieure, Paris), Antje Dietze (université Leipzig), Walter Nkwi Gam (université Leiden), Christine de Gemeaux (université de Tours), Joël Glasman (université Bayreuth), Henry Kah (université Leiden), Yixu Lu (université Sydney), Catherine Repussard (université de Strasbourg) et Jakob Vogel (Science Po Paris).

» Vers l’appel à communications (pdf)


[1] Steinmetz, 2007 ; Conrad, 2008.
[2] Zimmerer, 2004 ; Madley, 2005.
[3] Gouaffo, 2007 ; Habermas, 2016 ; Kundrus, 2006.
[4] Conrad and Osterhammel, 2004 ; Azamende, 2010 ; Lindner, 2011 ; Lahti, 2021.
[5] Biwa, 2012 ; Shilling, 2014.
[6] Bauche, 2017 ; Bechhaus-Gerst et Zeller, 2018, Mark Thiesen et al. 2021.
[7] Glasman, 2014 ; Moyd, 2014 ; Nyada, 2014 ; Richter, 2014 ; Muschalek, 2019 ; Froment, 2022.
[8] Zimmerman, 2010 ; Oestermann, 2022.
[9] Conrad, 2006 ; Kleinöder, 2022; Todzi, 2023.
[10] Repussard and Mombert, 2006; De Gemeaux, 2010; Metzger, 2011; Repussard, 2015; Daheur and Scheele, 2017; de Gemeaux and Repussard, 2017; Metzger, 2017; de Gemeaux, 2022.