Histoire de l’Afrique

Projet de recherche

Les transports en commun et la régulation de l’espace dans les villes africaines


Le projet de recherche analyse l’histoire des transports en commun en Afrique à partir de 1945 en connectant l’histoire de la ville, l’histoire de la technologie et l’histoire économique.

Matatus, daladala, taxis-bus, trotros, bush taxi… Les noms des véhicules qui traversent les rues des villes africaines pour transporter leurs habitants sont aussi variés que les réseaux et les infrastructures qu’ils utilisent. Mais ils ont quand même en commun leur organisation sous forme d’économie informelle, secteur économique non réglementé et caractérisé par une diversité de formes d’exploitation et de conditions de travail précaires. Environ 85 pour cent des Africains travaillent dans l’économie informelle.

Le transport informel forge le paysage urbain et constitue une fondation importante de la vie et des économies urbaines. À rebours de sa conceptualisation comme un secteur séparé, il est étroitement lié aux économies et infrastructures »formelles« ainsi qu’à l’État africain. Les taxis collectifs et les taxis-bus se sont établis dans le cadre des processus d’urbanisation dans les années 1950.

Matatus, daladala, taxis-bus, trotros, bush taxi… Les noms des véhicules qui traversent les rues des villes africaines pour transporter leurs habitants sont aussi variés que les réseaux et les infrastructures qu’ils utilisent.

La contradiction entre les politiques économiques et sociales modernistes de la fin de la période coloniale et la nécessité pour l’État colonial autoritaire de contrôler des populations de plus en plus mobiles (socialement et géographiquement) a jeté les bases de l’économie informelle. Les crises économiques des années 1970 ont ensuite permis au secteur de se développer. Dans le même temps les États africains s’ouvraient progressivement aux économies informelles et commençaient à les tolérer et à les gérer. En conséquence, les économies formelles et informelles s’entrecroisaient de plus en plus et simultanément, des organisations se formaient pour autogérer le transport informel fragmenté et soumis à la compétition. Celles-ci géraient les réseaux, sécurisaient les profits des membres et représentaient le secteur vis-à-vis l’État. En revanche, les travailleurs ne parvenaient pas à s’organiser, parce que les syndicats de transport formels n’étaient pas favorables à les accueillir. Les usagers, pour leur part, voyaient les transports informels comme une nécessité de la vie urbaine face à l’échec des transports en commun. Ils défendaient les chauffeurs contre la police, mais se plaignaient aussi de l’insécurité, de la violence et de la criminalité à l’œuvre dans le réseau informel. Comme les entrepreneurs, ils demandaient des mesures de régulation ou de dérégulation relatives à leur situation et à leurs intérêts. Le secteur était aussi chargé politiquement: pendant les élections, les arrêts et les bus se transformaient en espaces de délibération, de propagande et de conflit politiques. Régulation et dérégulation, dans ce contexte, ne se présentent pas comme des processus binaires ou contradictoires, mais, au gré des motivations des participants, comme des instruments politiques pour la gestion des structures complexes de l’économie informelle et des infrastructures organisées dans son cadre.

Malgré son importance pour la vie sociale, culturelle et économique dans les villes du Sud, le transport informel n’a guère fait l’objet de recherches par les historiens et historiennes. À l’inverse, les sciences sociales s’y intéressent depuis sa »découverte« en 1972/3 par l’anthropologue Keith Hart et l’Organisation Internationale du Travail comme une part intégrante des économies urbaines. Une analyse historique du développement des transports informels, de ses formes d’organisation et de ses conditions de travail peut remettre en question des hypothèses et conceptualisations de cette littérature. C’est notamment le cas pour la question de sa contextualisation dans le cadre du triomphe du néolibéralisme. Le projet interroge aussi l’hypothèse de son autonomie en tant que secteur informel et de son intégration dans une vie authentiquement »africaine« dans l’informalité.

Crédit photo: Terminal bus »Kulima Tower« , 20.09.2006. Lusaka, Zambia. Photo: Robert Heinze.