Projet de recherche

Concilier la vertu civique et les droits naturels. Les cultures républicaines françaises et helvétiques du XIXe siècle

Doctorant

2014–2019 à l’IHA

(Dernière mise à jour: 10/2019, cette page ne sera plus actualisée.)


Dans le sillage de la récente historiographie développée par les philosophes spécialistes du républicanisme J.-F. Spitz et C. Hamel, le présent projet de thèse envisage de reconsidérer l’un des influents modèles proposés par l’historien des pensées politiques J. Pocock: l’incompatibilité entre les concepts de vertu civique et de droits naturels, deux langages politiques présentés tels contradictoires et concurrents par l’historien anglo-saxon (Vertu, commerce et histoire, 1998). Lieu commun inscrit dans la tradition républicaine depuis l’Antiquité, la vertu civique désigne le dévouement désintéressé du citoyen à la chose commune (res publica), le sacrifice de ses intérêts/biens particuliers au profit de l’intérêt/bien public. Concept exigeant, érigé par Montesquieu (De l’Esprit des lois, 1748) comme la condition sine qua non à la pérennité d’un régime républicain – lequel, en raison de sa structure dotant chaque citoyen de la souveraineté, est promis à la corruption et à la dégénérescence si les intérêts particuliers (avarice, ambition, etc.) de chacun prime sur l’intérêt public – la vertu civique s’oppose, d’après le modèle pocockien, à la doctrine jusnaturaliste. Annoncée par Hobbes (Leviathan, 1651), théorisée par le libéralisme politique de Locke (Traité du gouvernement civil, 1690) et consacrée par les révolutions de la fin du XVIIIe siècle (deuxième article de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1789), cette doctrine établit que l’homme jouit, en vertu de sa nature humaine, de certains droits individuels et imprescriptibles dont ceux de liberté et de propriété.

Le présent projet vise ainsi à démontrer, dans une perspective transnationale, l’existence d’un républicanisme des droits prônant l’intérêt particulier concomitant à l’intérêt public, l’amour de soi à l’amour des autres.

En somme, le modèle offert par Pocock aux historiens des idées politiques oppose deux types de société (une société organique dans laquelle l’homme se dissout versus une société individualiste sur laquelle l’homme prime), voire deux anthropologies (l’homme comme animal politique versus l’homme comme animal propriétaire) tout en s’appuyant sur les deux formes opposées de liberté (la liberté positive versus la liberté négative) popularisées par l’historien I. Berlin (Eloge de la liberté, 1988). Or l’objectif du présent projet est de proposer un démenti à ce modèle en identifiant une conciliation cohérente de positions morales républicaines et jusnaturalistes au sein des cultures républicaines françaises et helvétiques du XIXe siècle, lesquelles ont particulièrement été en contact dans la seconde moitié du XIXe siècle à la suite de l’exil, principalement subséquent au coup d’État de décembre 1851, de républicains français en Suisse. En étudiant les textes de ces penseurs, en analysant leur circulation et leurs modèles, le présent projet vise ainsi à démontrer, dans une perspective transnationale, l’existence d’un républicanisme des droits prônant l’intérêt particulier concomitant à l’intérêt public, l’amour de soi à l’amour des autres.

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En exil à Genève durant près d’une décennie (1861–1870), le républicain français Jules Barni (1818–1878) y développe sa pensée politique, notamment consignée dans Les martyrs de la libre pensée (1862) ou La morale dans la démocratie (1868), laquelle concilie des positions morales républicaines et jusnaturalistes.
Source: gallifa.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France